La route du déluge
Sans doute avez-vous déjà emprunté la route du Déluge à Viuz-en-Sallaz qui rejoint la route des Brasses au hameau des Pellet ?
Pourquoi porte-t-elle ce nom qui semble tout droit sorti d’un texte biblique ?
Une catastrophe naturelle dramatique
Ce toponyme, qui désigne le lieu-dit non loin de là, trouve son origine dans une catastrophe qui s’est produite au XVIIIe siècle. Un compte-rendu de cet évènement dramatique a été consigné dans le registre des décès du village de Viuz-en-Sallaz par le Révérend Charles François Paris, curé de la paroisse de Viuz-en-Sallaz et retranscrit par l’abbé Poiton en 1866 :
« Le 29 juillet 1715, entre trois et quatre heures du matin se fit le grand éboulement de la montagne sur les trois villages des Fontaines, Grésards et Trables, qui commença au sommet de la montagne et continua jusqu’au Foron ; il a renversé 300 journaux tant bois que terre et écrasé environ vingt maisons ; il y a péri trente-quatre personnes. De tous ces morts, on n’a retrouvé que le corps d’une femme qui a été ensevelie au cimetière de Viuz-en-Sallaz. »[1].
Cet évènement fut très bref, il ne dura pas plus d’un quart d’heure. Les habitants des Fontaines et presque tous ceux des Grésards périrent et ceux des Trables, situés en dessous, ont eu le temps de s’enfuir.
Après le passage de cet amas d’éboulis et d’eau au pouvoir de destruction énorme, le paysage est complètement ravagé. L’abbé Poiton le décrit en 1866 « Le sol est dénudé : aucun arbre ni arbrisseau, aucune végétation ne recouvre cet affreux désert »[2]. La zone d’éboulement correspond à une superficie d’environ 20 hectares. Cet espace est d’ailleurs bien visible sur le cadastre sarde de la commune réalisé entre 1728 et 1738 (parcelle numéro 3446). Le Foron, dans lequel l’éboulement a terminé sa course, est visible en haut sur l’extrait de la mappe ci-dessous).
Le lendemain de la catastrophe, le roi Victor Amédée II demande a un lieutenant-colonel de se rendre sur place et apporte une aide financière.
Quand les légendes s’en mêlent…
À cette époque, les catastrophes naturelles trouvaient souvent auprès des populations locales des causes surnaturelles impliquant le bien ou le mal à travers les interventions du Malin, des sorciers, des fées, des anges ou encore de Dieu lui-même et révélant bien souvent les faiblesses de la nature humaine. D’évènements tragiques, naissaient souvent des croyances destinées à mettre en garde les habitants en cas de mauvaises conduites ou de mœurs déplacées.
Le Déluge n’échappe pas à la règle puisqu’une légende a traversé les siècles pour expliquer la cause de cet éboulement.
L’écho paroissial de Viuz-en-Sallaz de 1911-1912 le mentionne en détail :
« Un pauvre, un bon pauvre, se présentait à la chute du jour le 28 juillet aux villages des Fontaines et des Grézards et pour l’amour de Dieu implorait l’hospitalité, l’hébergement pour la nuit. Sa demande ne fut pas entendue : les cœurs restèrent sourds et les maisons fermées. Il continua sa recherche et se rendit au petit hameau des Trables où il reçut un charitable accueil. Après avoir fait sa prière, avant d’aller prendre son repos, il adressa quelques bonnes paroles aux habitants de la maison qui lui donnait asile. Il les prévint que, dans le courant de la nuit, ils entendraient un grand bruit, un vacarme extraordinaire, mais en même temps, il les invita à ne pas s’effrayer, leur donnant l’assurance que leurs maisons, leurs personnes et leurs biens seraient à l’abri de tout danger. Effectivement, pendant la nuit, le Déluge, produisait ses épouvantables ravages et le hameau des Trables, aussi, et même plus exposé que les autres, ne subissait aucun dégât. Dès que la première épouvante fut passée, on rechercha ce pauvre pour lui demander l’origine de ses prédictions si exactement réalisées. Toutes les recherches furent inutiles : il avait disparu sans laisser aucune trace de son passage. D’après les uns, c’était un ange venu du ciel […] d’après les autres Notre Seigneur en personne »[3].
Ce récit met en avant la charité des habitants du hameau des Trables qui a été récompensée contrairement à l’indifférence de ceux des deux autres hameaux qui en ont payé le prix fort.
Deux ans après la catastrophe, Laurent Pallud, habitant au lieu-dit du même nom, fait ériger à ses frais une chapelle à proximité qui sera bénie le 24 août 1717 par le Révérend Paris et placée sous le vocable de Notre Dame du Puy, saint Laurent, saint Bernard de Menton, saint Guérin et sainte Agathe.
Celle-ci fut édifiée « dans le but d’obtenir du Ciel, exemption d’incendie, de tempêtes, de mortalité du bétail et d’éboulement »[4].
La chapelle subit malheureusement les assauts du temps. Une première restauration en 1865 grâce à une souscription faite par les habitants des Palluds, suivie d’une seconde à la fin des années 1970 ont permis à ce petit édifice religieux de traverser les siècles.
« Une mémoire toujours vivante »
Trois cents ans plus tard, cette catastrophe reste dans les mémoires.
En 2015, le tricentenaire du “déluge” est célébré par l’association « Chez Pallud ».
Si vous passez près du Déluge, une modeste croix plantée sur ce sol meurtrit garde le souvenir de ces familles emportées une nuit de juillet 1715.
- Le saviez-vous ?
La légende du Déluge constitue le point de départ de notre animation proposée au Musée PAYSAN “l’absurd game”.
Notes :
[1] et [2] Poiton J, “Le déluge de Viuz-en-Sallaz”, Revue Savoisienne, 1866.
[3] Echo paroissial, Viuz-en-Sallaz, 1911-1912.
[4] Rollin E. Monographie de Viuz-en-Sallaz. Diocèse d’Annecy (Haute-Savoie). Mémoires et documents de l’Académie salésienne, T. XIX, 1896.
Sources :
Arch. Dép. Haute-Savoie, 1 C d 81.
Decrouez D, Perrillat-Boiteux L, « Le Déluge de Viuz-en-Sallaz », Revue Le Petit Colporteur, Racines en Faucigny, numéro 27, 2020.
Echo paroissial, Viuz-en-Sallaz, mai 1911 – mars1912.
Poiton J, « Le déluge de Viuz-en-Sallaz », Revue Savoisienne, Société florimontane d’Annecy, 1866.
Rollin E. Monographie de Viuz-en-Sallaz. Diocèse d’Annecy (Haute-Savoie). Mémoires et documents de l’Académie salésienne, T. XIX, 1896.
Thevenod-Mottet D, Viuz-en-Sallaz. Chroniques d’un village savoyard. Tome 1, Ed. D. Thévenod-Mottet, 2012.
Crédits photos :
PAYSALP, Mémoire-Alpine
Association Chez Pallud – https://chezpallud.wordpress.com/