Ma rue a une histoire

Ma rue a une histoire

Tout est histoire de toponymie

En 2023, PAYSALP est missionné par la CC4R pour réaliser un inventaire du patrimoine bâti du IXe au XVIIe siècle et du petit patrimoine (four, lavoir, greniers, croix, oratoire, etc.) du IXe au XIXe siècle sur le territoire des 4 rivières.

Ce patrimoine, très riche, est encore bien présent comme en témoignent les traces matérielles (bâti, vestiges) et immatérielles (sources orales, toponymie). 

En parlant de toponymie justement, saviez-vous que ce mot prend ses racines du grec ancien : tópos « lieu » et ónoma « nom » et désigne la discipline qui étudie les toponymes ou noms de lieux (leur ancienneté, leur signification, leur étymologie, leur évolution, leur relation avec la langue actuelle ou avec des langues disparues).

« La toponymie est partout ; tout ce qui existe mérite et même nécessite d’être nommé »[1]. On retrouve les noms de lieux sur les cartes géographiques, les panneaux de localisation, les noms de rues. Ils peuvent être de toute nature : village, montagne, fleuve… La toponymie fait partie des indices laissés par les sociétés, généralement passées, sur les territoires. Elle résume l’histoire humaine d’une région. Il s’agit d’un outil indispensable d’identification, de localisation et par l’information qu’ils recèlent, une mémoire collective qu’il faut préserver et valoriser.

Adresse et adressage

Aujourd’hui, toutes les communes de la CC4R possèdent des numéros et des noms de rue, de route, de chemin ou encore d’impasse, il s’agit de l’adressage. C’est grâce à cela que nous pouvons nous repérer.

L’adressage des communes est organisé par les mairies. Il est très important que toutes les rues soient nommées et les bâtiments numérotés. Cela permet aux usagers de se localiser facilement. Pour être conforme, une commune doit respecter plusieurs réglementations. Les normes qui encadrent la mise en place de l’adressage sont en constantes évolutions.

L’adressage des communes est important pour plusieurs raisons :

  • Fluidifier la circulation
  • Faciliter l’intervention pour les secours
  • Permettre aux usagers de se repérer plus facilement
  • Faciliter le recensement et l’élaboration des listes électorales

Ne soyez donc pas étonnés de retrouver un numéro sur un chalet d’alpage inoccupé. Celui-ci n’est pas destiné au livreur de chez Chronopost, il permettra aux secours d’obtenir une localisation précise.  

Avant février 2022, l’adressage pour les communes de moins de 2000 habitants était fortement conseillé, mais pas obligatoire. Il l’était en revanche pour les communes de plus de 2000 habitants. Cependant, la loi 3DS, promulguée en février 2022, oblige maintenant toutes les communes, peu importe le nombre d’habitants, à effectuer l’adressage de leurs rues. Elles doivent rendre des comptes aux centres des impôts lorsqu’il est question d’adressage des rues.

Mais comment les noms de rues sont-ils choisis ? Personnages ou faits historiques,  indications géographiques, activités humaines : les noms des rues, places et autres lieux publics devant lesquels vous passez tous les jours sont divers et variés. Pourtant
rien n’est laissé au hasard : un travail de consultation et de concertation est réalisé en amont pour choisir ce qui relève de l’odonymie, l’étude des noms désignant tout type de voies de communication. Ce sont le Maire et le Conseil municipal qui ont le pouvoir de choisir
les noms des rues (cette liberté de choix est néanmoins encadrée par des usages bien établis) mais tous les habitants peuvent faire des propositions. En ce qui concerne les voies privées, c’est au(x) propriétaire(s) de proposer un nom, qui peut toutefois être interdit par le conseil municipal s’il est contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

À travers cette rubrique “Ma rue a une histoire” nous vous invitons à lever les yeux sur les panneaux qui bordent nos chemins afin de découvrir l’histoire qui se cache derrière le nom des rues des communes de la CC4R.

Que la promenade commence…

#1 Le chemin du Raffort

Pour ce premier rendez-vous, direction le chemin du Raffort, petit chemin discret qui délimite les communes de Ville-en-Sallaz et La Tour et descend vers le lac du Môle.

Pourquoi ce chemin a-t-il été nommé ainsi ? La toponymie nous donne de précieuses informations concernant la signification du mot raffort. Plusieurs toponymistes confirment qu’il proviendrait du celtique ra, chaux et du bas latin furnus, four autrement dit four à chaux. De la Haute-Savoie à l’Isère, en passant par le Jura et le Lyonnais, on trouve les termes raf(f)our, raf(f)or, rafort, raffournet, refour(t) ou encore chaufour. On trouve également ces toponymes en Suisse et en Vallée d’Aoste permettant d’affirmer que la plupart des toponymes de ce type se retrouvent en domaine francoprovençal.

En Haute-Savoie, de nombreuses attestations se repartissent en Chablais, dans les massifs du Giffre, des Bornes, des Aravis, du Mont-Blanc. En patois, on trouve les mots râfò, râfor, for à çhô.

Sur le territoire des quatre rivières, deux voies portent ce toponyme : le lieu dit le Rafour traversé par la route du même nom à Mégevette et le chemin du Raffort à Ville-en-Sallaz/La Tour. Pour ce chemin, nous savons qu’un four à chaux se trouvait à proximité comme en atteste différentes sources. Ce four était en activité à la fin du XIXe siècle et en 1892, un dramatique accident s’y déroula au cours duquel le chaufournier et propriétaire du four Jean Menoud et son ouvrier François Xavier Rosay perdirent la vie. Une photographie datée des années 1910-1920 nous apprend que le four était toujours présent tandis que le cadastre français de la commune de Ville-en-Sallaz (1913) et de La Tour  (1914) atteste que le chemin s’appelait déjà chemin du Raffort, laissant supposer une existence assez ancienne pour laisser sa trace dans la toponymie. Ce four permettait de fabriquer de la chaux qui s’obtenait par la cuisson de pierres calcaires à très haute température. Cette chaux, qui pouvait être vive ou éteinte, avait diverses propriétés et était largement utilisée dans l’agriculture, la construction, la sidérurgie. Le monde paysan l’utilisait également pour conserver les aliments (œufs de ferme, charcuterie…), pour nettoyer les écuries et les maisons et entourer les bêtes mortes de chaux pour éviter la putréfaction des corps en raison de son rôle antiseptique.

Aujourd’hui, le four à chaux du chemin du Raffort a disparu mais son histoire continue de perdurer à travers les sources orales, les archives, les cadastres et la toponymie.

Sources – crédit photos :

[1]. Dorion Henri, La Toponymie, une science, un vocabulaire, une gestion, éditions du Septentrion, 2023.

Bessat Hubert, Germi Claudette, Les noms du patrimoine alpin, atlas toponymique II, Ellug, 2004

Archives départementales, cadastre français, P 3/9238 – Feuille n° 6, parcelles n° 837 à 1038 – 16 juin 1913

Article dans “La Croix de la Haute-Savoie”, 31 juillet 1892.

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