Objets du mois : la “rabolire”


objet du mois : La "Rabolire"

La "rabolire" : un incontournable de la cuisine savoyarde

En décembre, les fêtes se préparent, on met les petits plats dans les grands, l’objet du mois est ainsi la “rabolire” utilisée pour le farcement, décrit ici par Christine Brunier : “historiquement, c’était le plat dominical ou du soir de Noël que l’on préparait avant d’aller à la messe, le temps de cuisson. Il était prêt au retour pour se mettre à table”. Le farcement, plat mythique et ancestral des Savoie, a perdu de sa popularité au détriment de la fondue ou de la raclette. Pourtant, ce plat, anciennement très consommé, reste très important chez les plus fidèles Savoyardes et Savoyards.

Le farcement : mi-patate mi-raisin

Cette recette, mélangeant le sucré et le salé, concocté à base de pommes de terre, de lard ou encore de fruits, était très importante, autrefois. Après avoir été soigneusement préparé dans un moule nommé “rabolire” (en patois), le farcement est placé en bain-marie entre trois et cinq heures. Il est fréquemment cuisiné les dimanches et les jours de fête, généralement dans des populations pauvres comme en témoigne Julien Machet : “c’est le plat du dimanche ou de fête du pauvre”. Il continue en disant : “on y trouve des produits de cave et de grenier”, ce qui peut expliquer les variantes dans les recettes. Cependant, ils ont tous en commun la pomme de terre, ou le chou-rave avant l’exportation de la pomme de terre au XVIIème siècle, et le lard sans oublier les fruits.

La recette la plus traditionnelle que l’on peut retrouver aujourd’hui est confectionnée par la confrérie du farcement, basée à Sallanches. Elle mélange ainsi la pomme de terre, le lard et les lardons, concernant les fruits, elle utilise des raisins et des pruneaux. Une fois terminé, le farcement est cuit dans la “rabolire”, son moule traditionnel lisse et sphérique, fabriqué à base de fer blanc. Cependant, l’aluminium est aujourd’hui privilégié. Celui-ci possède également une partie centrale creuse, ce qui permet de cuire le cœur plus facilement et sa taille est variable en fonction du nombre de convives. La cuisson se fait en bain-marie pendant plusieurs heures. D’autres moyens sont utilisés pour cuire le farcement, certains le font à la poêle ou encore au four à pain. Concernant les fruits, Christine Brunier nous apprend que ces derniers changent en fonction des fruits présents dans la région : “Chez nous, ils faisaient beaucoup le farcement avec des cerises. Beaucoup de cerisiers ici, sur Combloux et Domancy”.

une popularité locale

Le farcement reste malgré tout un plat qui connaît une popularité différente selon les secteurs, certains ne le connaissaient pas, comme en témoigne Francia Pagnod, habitante d’Onnion : “Non, c’est du côté de Sallanches. Là, y en a pas” ou G. Maurice-Demourioux, habitant de Saint-Jean-de-Tholome : “Le farcement, ça se fait plutôt en haute montagne”. Propos recueillis par une ethnologue dans le cadre de la préparation de l’exposition “les pieds dans l’plat …. de la cuisine savoyarde” créée par PAYSALP. Nous pouvons ainsi comprendre que ce plat était plus commun et populaire dans la vallée du Mont-Blanc comme à Sallanches ou Chamonix.

LE FARCIMENT D'HABERE-POCHE (CHABLAIS, RECETTE DE MONSIEUR JEAN-PAUL) recueilli par MaRIE-Thérèse Herman, La cuisine paysanne de Savoie:

Pour ce farcement, il faut une gwéfa, c’est-à-dire un filet spécial, dite “besace” en français, généralement fabriquée à la maison : c’est un carré de filet que l’on forme en sac, à l’aide d’une attache qui le fronce tout autour. Les mailles de filet sont espacées d’environ 10 litres.

On lave soigneusement les choux. “Ma mère en défaisait les têtes en quatre morceaux pour déjà les tasser un peu.” Les choux sont peu hachés, mais l’on place dans le fond de la besace des feuilles entières. On dresse au milieu une ou deux tranches de lard, une saucisse piquée. “A mesure qu’elle mettait ses couches de choux elle mettait des lardons, vous savez, du lard plus gras coupé en petits caramels qu’elle roulait dans la farine et qu’elle incorporait au milieu.” On noue la besace et on attache le tout avec un petit bâtonnet de bois avec lequel “on faisait un petit tourniquet”. On met le tout dans une marmite de fonte (bronzin) dans laquelle bout de l’eau.

Des pommes de terre cuisant à part dans une autre marmite, presqu’à sec pour obtenir des brûlins dessous, bien dorés et succulents (ceci évidemment ne pouvant se réaliser que dans le bronzin).

Au bout d’une heure ou deux, le farcement était cuit. Chaque maison avait un tiroire à sa table de cuisine avec un bouton de bois ou de laiton pour l’ouvrir. On mettait une bassine au-dessous du tiroir et on suspendait le sac du farcement au bout du tiroir. Contenant et contenu s’égouttait; on favorisait l’égouttage en tordant le margollion (tourniquet) pour extraire le plus gros du jus, et le farciment finissait de s’égoutter. On vidait ensuite le tout dans un grand plat. On comparait le farcement à un tas de foin. “Quand on revenait de la messe, on disait en riant :”On va allo démashno l’farcemein” ( on va aller “démoichonner”, défaire les tas de foin).

On utilisait le jus restant de la cuisson du farcement pour la soupe du soir en rajoutant dans la marmitte de l’eau, des carottes coupées en petits dés, des pommes de terre, le tout recuit encore durant trois-quart d’heure à une heure. On mettait des croûtons de pain dans l’assiette et à volonté, du lait “qui se mariait bien avec le goût du farciment.”

De l’autre côté de la montagne, à Bellevaux, on fait aussi le farcement aux choux, “dans la filoche”. On coupe en morceaux assez petits les choux crus. On en met la moitié dans le filet. On sale et on saupoudre de tséru, le cumin sauvage cueilli dans les prés, en été; on ajout un morceau de jambon fumé à la cheminée, le reste des choux et l’on fait cuire, comme le farcement des Habères, pendant au moins deux heures, en mettant à part les pommes de terre dans un autre bronzin. Une heure avant la fin de la cuisson, on peut mettre un saucisson à cuire en compagnie des choux.

une tradition encore d'actualité

En outre, le farcement et son moule, la “rabolire”, sont des éléments importants de l’histoire de la cuisine et de l’alimentation en Savoie. Malgré sa perte de popularité, il reste possible de le voir ou de le déguster. Il existe, tous les ans, à Combloux, un concours du farcement. Il a accueilli, en 2006, 24 farcements différents qui venaient des villages du pays du Mont-Blanc. Nous pouvons également compter sur plusieurs restaurants qui le proposent sur leur carte. C’est le cas de M.Carrier, à Chamonix, dans son restaurat. Il propose un farcement traditionnel ou revisité avec des baies sauvages. Il y a également des restauranst à Magland, Combloux et Sallanches qui proposent ce plat dans leur carte.

Cet objet, qu’est la “rabolire”, est présenté dans l’exposition “Les pieds dans l’plat…de la cuisine savoyarde” qui vous permettra d’en apprendre d’avantages sur les histoires ainsi que des plats fascinants des Savoie. Vous pouvez retrouver l’exposition en location sur le catalogue de PAYSALP.

Article écrit et réalisé par BONDAZ Hugo, étudiant en deuxième année de Licence d’Histoire à l’Université Grenoble Alpes.

Sources :

Le Dauphiné Libéré, article publié le 30 décembre 2022 par Antoine Chandelier.

La cuisine paysanne de Savoie, La Vie des Fermes et des Chalets racontée par une Enfant du Pays, Marie-Thérèse Hermann, éditions Philippe Sers, p. 98

Témoignage de Christine Brunier, organisatrice de la fête du farcement, le 21 février 2006 à Combloux.

Témoignage de G. Maurice Demouriouz, originaire de Saint-Jean-de-Tholome, le 9 mars 2006 à Viuz

Témoignage de Francia Pagnod le 8 mars 2006 à Onnion

Les Pieds dans l’Plat, exposition itinérante en location créée par PAYSALP.

Crédits photos : Savoie Mont-Blanc, Terre et Mar, Toquicimes, Cooking2000, Claude Pautler