Le savoir-faire du mois :
la fabrique de talons à pouilly
Né en 1899 à Cormand, Francis Carrier issu d’une famille de cinq enfants, se marie avec Marie Millet en 1923. Elle était originaire de Pouilly et vivait seule avec sa mère. Francis s’installe donc chez sa belle-mère avec son épouse. Avant son mariage Francis a travaillé à l’Usine du Giffre, le grand employeur des environs. Ce travail était dur et dangereux et sa belle-mère lui demanda d’en trouver un plus sécurisé. C’est ainsi qu’il se fit embaucher à Pouilly au sein de la fabrique de pignons chez Revuz.
l'eau une force pour les artisans
Cette entreprise était spécialisée dans la fabrique de pignon, roue dentée avec un faible nombre de dents. Ces petites pièces étaient utilisées pour fabriquer des montres et dans les mécanismes de machines et autre. La fabrique était installée dans un ancien moulin et utilisait la force motrice de l’eau pour actionner ses machines. Pouilly est un village qui comptait au début du 20ème siècle de nombreux artisans le long de la bédière, canal qui transportait l’eau à travers le village, cette eau était captée sur le haut de celui-ci. Cette bédière permettait d’alimenter en courant (hydro-électricité) une fabrique de clous, un garage, une minoterie, la fabrique de pignons ainsi qu’une scie à tuf. Ces activités étaient encore présentes au début du 20ème siècle, la scie à tuf est même figurée sur le cadastre de 1919.
La meilleure façon de marcher, c'est encore la sienne
Après la fermeture de l’usine Revuz, Francis Carrier décida de créer sa propre entreprise. Il aménagea donc un petit atelier de fabrication de semelles de galoches dans la ferme familiale. En complément de son activité principale il garda toujours la ferme avec un jardin et quelques animaux qui apportaient un complément en nature. L’activité débute en 1930-1931 et consiste à fabriquer des semelles en bois qui étaient ensuite utilisées pour fabriquer des galoches.
Les premiers clients de la fabrique Carrier étaient les cordonniers et les épiciers, puis l’activité se développa après la Seconde Guerre mondiale et elle évolua vers la fabrique de talons, au début en bois puis en plastique. Autodidactes, le père (Francis) et le fils (Charles) firent évoluer leur entreprise et les machines qu’ils utilisaient pour adapter leur production à l’évolution du marché. Charles Carrier travailla dès l’âge de 14 ans avec son père, il reprit l’activité à partir de 1966. L’entreprise achetait le bois nécessaire à la fabrication des semelles et des talons localement, et travaillait avec l’aide et l’entraide des autres artisans du village. Francis et Charles Carrier arrivaient toujours à trouver une solution ou inventer quelque chose qui leur permettait d’améliorer leur condition de travail ou de faciliter certaines tâches.
L’entreprise compta jusqu’à 8 employés dont 3 extérieurs à la famille. Une figure emblématique de Pouilly a travaillé dans cette fabrique, il s’agit de « Radar ». Cet homme tire son surnom de la façon très imagée avec bruitage inclus qu’il avait de raconter la bataille de Narvick. Une rue de Pouilly porte d’ailleurs le nom de cette bataille en référence à cet homme et à cet événement.
Une perte d'équilibre...
A partir de 1946, la clientèle change. Après de nombreux démarchages, Francis Carrier obtient un marché avec la marque Bally. La production de talons s’intensifie avec la difficulté de produire pour des grandes marques, de s’adapter à la saisonnalité et à la mode qui évolue, car les types de talons changent plusieurs fois par an (été/hiver) et chaque année. En plus de la fabrication, Francis et Charles Carrier doivent commercialiser leurs produits il faut donc démarcher les revendeurs. Avec l’innovation des talons en plastique il faut acheter de nouvelles machines, Charles Carrier part donc à Oyonnax le berceau de la plasturgie pour se former et ensuite pouvoir produire lui-même ses talons avec une presse à injecter. Il investit aussi dans une fraiseuse pour pouvoir créer les moules qui serviront à fabriquer les talons. Malheureusement, la concurrence avec notamment l’Italie a raison de l’activité de fabrique de talons qui s’arrête en 1985.
Ce témoignage du fonctionnement de l’activité a été recueilli auprès du descendant de Francis et Charles Carrier qui a à cœur de transmettre cet héritage familial en conservant précieusement ses souvenirs, quelques machines qui n’ont pas été vendues à la suite de la cessation d’activité et quelques archives.